Effondrement moral et visuel

Ajouter remarque bien branlette intellectuelle et subversive

Tiens, bonjour. Qui es-tu ? Qu’es-tu ? Tu es d’accord pour que je te tutoie ? En fait je m’en fous. Ton existence n’est même pas assurée. Quoique. Le fait que je sois en train de te parler suffit peut-être à prouver que tu existes. Ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle. Ma santé mentale est-elle aussi ravagée que ça ? J’espérais que non. Le psy m’a dit de faire attention. À quoi ? Aucune idée. Je comprends pas tout ce qu’il me raconte, le psy. Un individu étrange…

Bon. Faisons connaissance. Moi, c’est Jean-Baptiste. Jean-Baptiste… non, je te dirais pas mon nom de famille. Je suis sûr que tu t’en fous, de toute manière. Et puis même, on ne divulgue pas son identité à n’importe qui. Encore plus quand ce n’importe qui n’est pas censé exister. Tu as déjà entendu parler de gens qui parlent à quelqu’un dans leur tête ? La schizophrénie, on appelle ça. Je crois que c’est considéré comme une maladie mentale. J’ai pas envie de me faire traiter de malade. À part si je peux toucher un peu plus d’allocs grâce à ça… Il faudra que je me renseigne. Parce-que si c’est pour finir dans un hôpital psychiatrique, non merci. J’ai pas le temps pour ça.

Jean-Baptiste, donc. Humain. Sexe mâle. Hétéro cis blanc, d’après les canons de notre époque. Pour ce que ça veut dire… Âge, 20 ans et quelques. Relativement grand, pas gros ni maigre, cheveux bruns, yeux bruns… Rien de particulier. Si, quand je suis vraiment motivé, je me fais une iroquoise sur la tête. Je sais pas trop pourquoi, j’aime bien ça. Ça me donne un côté un peu « rebelle », et pour un jeune, c’est important de se sentir rebelle. Cette crête à peut-être beaucoup contribué à garder ma stabilité mentale ces trois dernières années. Mais son effet commence à s’atténuer, hélas. Enfin, si les seuls symptômes sont « parle à un ami imaginaire », je pense que je m’en sortirais. Pour l’instant, je note que tu ne m’as pas répondu. Ce qui est une bonne chose, je crois. Peut-être que tu ne veux pas répondre. Peut-être que tu ne peux pas répondre. Qui sait ? Toi, sans doute. Moi, non.

En ce moment même, je suis couché sur mon lit, et je regarde le plafond de ma petite chambre. Cette activité remplit le plus clair de mon temps, et j’en suis venu à l’apprécier. Même ce foutu psy m’a conseillé de continuer. Paraîtrait que ça restructurerait l’esprit. Super. Ma restructuration a fait apparaître une entité à qui je m’adresse comme si on se connaissait depuis toujours. C’est trop encourageant pour la suite de ma thérapie. Peut-être que si j’arrête de regarder le plafond, tu disparaîtras.

Raté. T’es toujours là. Tenace, hein ? Je t’en veux pas. C’est peut-être même pas ta faute. Je t’ai créé. Tu n’as pas le choix, il me semble. D’ailleurs, de quel droit est-ce que je te masculinise ? T’es peut-être une femme ? Ou un chat… ou une pieuvre ! Ce serait marrant, ça, tiens… Mon ami imaginaire est un céphalopode vivant sous l’eau, et qui n’a à ce jour pas réussi à communiquer intelligiblement avec mon espèce à moi, l’humanité. Meilleure espèce de tous les temps, par le chemin. Franchement, on a de quoi être fiers. Nous dominons le monde. Alors que toi, vulgaire mollusque, tu es voué à faire shploof sur le sable, et à te cacher de tes prédateurs. Laisse moi rire. D’ailleurs, je ris. Je crois que tu ne le vois pas. C’est pour ça que je te le dis.

Point intéressant : il semble que nous ne puissions communiquer que par les mots. Je n’ai pas l’impression que tu me voies, que tu me sentes, que tu puisses me toucher. C’est pas dommage. Mes hallucinations ne sont visiblement pas à un stade critique. Donc, je vais devoir te décrire ce qu’il se passe, si je veux communiquer correctement avec toi. Sinon, tu ne comprendras que la moitié des événements. Ce serait atroce… Par événements, j’entends ma vie incroyablement trop super. Comme toutes les vies. Mais la mienne l’est quand même plus, super, c’est obligé.

Bon là du coup je me lève, et je vais aux toilettes. Je pense que tu m’en voudras pas si je te fais pas dans le détail pour ce passage. C’était bien. Les toilettes, je parle. Quelle sensation de libération, quand tu sors de cette salle du trône, les tripes vidées, à nouveau léger. Prêt à se remplir à nouveau, et on recommence… Le cycle de la vie, on appelle ça. C’est beau. Je retourne dans ma chambre. Je suis censé travailler, aujourd’hui. J’ai un projet à terminer, et les autres membres de mon groupe m’ont bien fait comprendre qu’il faudrait que je me bouge le cul. C’est pour ça que j’ai décidé de travailler un dimanche. Je m’y suis mis ce matin, très tôt. J’ai lu ce que mes camarades ont fait, un travail plutôt pas terrible, si tu veux mon avis, et j’ai continué sur leur lancée. J’ai bien avancé. J’ai été efficace, et ça, c’est pas souvent. Le problème, c’est que je n’ai été efficace que pendant deux heures. Ensuite, le vide. Et sans m’en rendre compte, je me suis retrouvé sur mon lit. Puis tu es arrivé. La suite, tu la connais. Maintenant, il est midi, et j’ai faim.

Je ressors de ma chambre, et je vais dans la cuisine. J’ouvre le frigo, et prends une pizza surgelée de la pile de pizzas surgelées. Je déballe le truc, au micro-onde, et je ramène tout dans ma chambre. Je vais manger peinard devant mon ordi, en regardant des vidéos stupides. Comme ça, en plus de culpabiliser de n’avoir pas assez avancé sur mon boulot, j’aurais l’impression d’avoir vraiment perdu mon temps. C’est trop cool. Je te sens douter du caractère super de ma vie, et je te comprends tout à fait. Pour l’instant, j’envoie pas du rêve. Mais t’inquiètes, ça va venir. En fait, je vais même t’expliquer ce qu’il va se passer, comme ça tu comprendras à quel point je suis génial et intelligent.

Premièrement, petit point sur ce que je fais. J’ai fini le lycée avec le bac, mention très bien, formidable. Ensuite, j’ai enchaîné sur deux ans de prépa, qui se sont muées en trois ans parce-que je suis tellement en avance intellectuellement que les profs n’ont pas pu suivre. Les autres élève non plus, d’ailleurs. Au fait, je suis français, de France, magnifique pays s’il en est. Je crois. C’est ce qu’on m’a dit. C’est pour ça, le bac, la prépa… Typiquement français, à ce qui paraît. Prépa pour quoi ? Pour les Grandes Écoles, évidemment ! Moi, je suis en école d’ingénieur, à Nantes. C’était le mieux que je pouvais avoir, et j’en suis pour l’instant assez content. D’abord, on travaille presque plus, donc ça c’est cool. Ensuite, on a des cours de contrôle des individus, donc c’est hyper intéressant. Comment parler aux gens pour qu’ils te voient comme un type super, comment les diriger efficacement, ce genre de trucs. Passionnant.

Plus tard, bientôt, en fait, je vais monter ma start-up, et je vais devenir millionnaire. C’est facile, c’est le président qui l’a dit. C’est l’avenir. Grâce à ma jeunesse et à mon dynamisme, je deviendrai très vite un grand innovateur à la Elon Musk ou Jeff Bezos. Le pied total. Ensuite, je pourrai voter à droite comme un bon friqué qui se respecte, sans aucune sympathie pour les pégus qui forment notre « beau » pays. En attendant, je vote à gauche : je suis boursier, et absolument pas contre une extension des allocs ou d’autre trucs qui me permettraient d’avoir de la thune sans rien foutre. Dans un premier temps… L’idéal serait de me barrer dans un autre pays, une fois que je serai pété de thunes. Classique, mais efficace.

Voilà voilà, tu sais tout. Maintenant, si tu restes dans ma tête, tu vas assister à la naissance d’un leader industriel du XXIème siècle. J’ai pas encore trop décidé du domaine dans lequel je vais tout casser, mais je pense que ça aura un lien avec la réalité virtuelle, les interfaces numériques et ce genre de conneries. Donc assieds-toi, installe toi confortablement, et apprécie le spectacle. Tu l’auras en avant première, avec les coulisses, les making-of, et tout le tintouin ! Peut-être même que je devrais te faire payer pour ça…

(Les taxes d’entrée et de sortie du cerveau de Jean-Baptiste ayant fortement augmentées, nous sommes au regret de vous annoncer ici et maintenant la fin de ses aventures. Notre journal est un journal indépendant et qui désire le rester. Sans vous, nous ne serions rien. Alors faites des dons. BWALA !)

Josépatate

Un type qu'aime bien écrire des p'tites histoires, comme ça, simplement, par plaisir. Faut bien qu'j'me défoule un peu j'suis énervé.
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